Nous p�n�trons dans un large couloir, dot� de nombreuses portes m�talliques. Je suis les quinze tributs qui me pr�c�dent accompagn�s de leur garde, et je les vois, un � un, entrer dans les salles lat�rales. Chaque mouvement semble �tre calcul� au centim�tre pr�s, les bottes frappent le sol � l'unisson et le cort�ge avance m�thodiquement. Seuls les pas saccad�s des tributs viennent parasiter cette rigoureuse procession.

Une fois le tribut entr�, le pan m�tallique coulisse silencieusement puis �met un bruit sourd pour indiquer la fermeture. Les gardes respectifs se positionnent ensuite au garde � vous devant les portes.

Je regarde cette sc�ne avec d�tachement, comme je regarderais un reportage sur les coulisses des Hunger Games. Ne suis-je pas encore arriv� � la r�alisation que je ne suis plus spectateur�? Ou ai-je, au contraire, parfaitement assimil� mon r�le d'acteur�? Oui. Depuis l'instant o� je me suis avanc� vers l'estrade je suis entr� dans mon personnage. Un individu calme et d�tach� pr�t � affronter son destin. Je vis ces moments dans la peau de ce courageux jeune homme que je ne suis pas. Et aussi inconfortable que cela puisse �tre, je ne suis pas impatient de sortir de ce r�le.

Culpabilit�, terreur, l�chet� et chagrin. Voil� ce qui m'attends une fois sorti du champ des cam�ras. En un mot, d�sespoir. Non, je ne sortirai pas de ce solide personnage que je me suis cr��. Et je m'en fais la promesse.

Mon garde m'arr�te. Je me retourne pour voir les neuf autres portes se refermer derri�re les tributs. L'espace d'un instant je me retrouve dans cette embarrassante position, seul au milieu de ce couloir, encercl� par vingt-cinq gardes immobiles. Une entr�e, une sortie et vingt-quatre portes. Une sc�ne digne des plus sinistres cauchemars.

Quand nous nous remettons en marche je trouve une pointe de douceur au fond de cette impasse. Devant la derni�re porte, Kurt regarde dans ma direction. J'aimerais lui montrer que je n'�prouve aucun regret, que j'assume compl�tement la d�cision que j'ai prise. Mais je n'en ai pas l'occasion car il p�n�tre rapidement dans sa salle et le panneau de m�tal se referme derri�re lui.

Je ne pourrais l'expliquer mais au fond de moi je sais qu'il est capable de me faire sortir de l'image que je me suis donn�e. Ce regard plein d'�motions que je lui ai offert lorsqu'il �tait dans les bras d'Effie en est la preuve. Seulement les �motions sont un luxe que je ne peux plus m’offrir.

Je prends conscience que Kurt est le premier tribut sur lequel je pose un nom – hormis Talulah. J'essaie de me convaincre que cela doit �tre du au fait qu'il �tait le dernier moissonn�. Ou peut-�tre est-ce seulement parce que je me sens plus coupable de sa pr�sence ici que de celle des autres. Je commence � r�aliser que ma promesse ne sera pas aussi simple � tenir que ce que je pensais. Si je me sens coupable maintenant qu'en sera-t-il dans quelques jours lorsque je devrais le tuer�? Voil� une des questions aux quelles je ne devrais pas penser en ce moment.
Je me dois de r�fl�chir m�thodiquement, affronter les �preuves unes � unes.

Pourtant, je me rends soudain compte que je n'ai pas la moindre id�e de l'identit� de mes vingt-deux autres concurrents. Tout s'est encha�n� si vite, que je n'ai pas remarqu� un seul visage apr�s m'�tre align� avec les autres tributs. Cependant avec les phases d'entra�nements et les interviews je devrais avoir encore du temps pour rem�dier � ce probl�me.

R�fl�chir m�thodiquement. J'essaye de me rassurer en me disant que cela demande s�rement plus d'efforts dans une situation comme celle-ci.

La prochaine �tape sera le t�te � t�te avec mes parents et Cooper. Les �v�nements qui m'attendent ces prochains jours ne sont qu'une suite de durs moments � passer. Toutefois je redoute particuli�rement celui-ci. Ni moi, ni mon personnage, ne sommes programm�s pour trouver ce qui pourrait �tre les derniers mots que j'�changerai avec ma famille.

Quand J'imagine le silence de mon p�re et les sanglots de ma m�re, tous les gardes, comme des automates, quittent leurs postes � l'unisson et se dirigent vers la porte au fond du couloir. Celui charg� de mon escorte me fait signe de patienter ici, et les suit.

Je me glisse le long du mur et m'assieds la t�te entre les genoux.

Un instant de r�pit.

Assez court malheureusement puisqu'� peine install�, les gardes arrivent accompagn�s des familles.

Un vingt-cinqui�me tribut pose quelques probl�mes de logistique mais je comprends rapidement que me faire patienter dans le couloir n'est pas un manque d'organisation. Les parents me jettent des regards noirs, remplis de haine et de m�pris. Je suis ici pour leur rappeler que j'avais une chance de sauver leurs fils ou leurs filles, mais que je ne l'ai pas fait. Je comprends que ma strat�gie �tait bonne, tellement que les juges ont d�cid� de la retourner contre moi. Je suis la dans ce couloir � jouer malgr� moi le r�le que les juges m'ont donn�.

Rester dans mon personnage n'est pas simple au centre de cette ranc�ur, et ne pouvant d�cemment pas supporter toute cette pression sur moi, je repose mon visage sur mes genoux et ferme les yeux. Je sens les larmes monter. Les pens�es dansent dans ma t�te.

Je sens une main se poser sur mon �paule. Pas une forte pression, mais le doux contact et la chaleur d'une main bienveillante. Relevant doucement la t�te, je vois le sublime visage d'une jeune femme accroupie � c�t� de moi. Cette femme est plut�t naturelle pour une m�re du Capitole. Aucun tatouage, ou implant seul ses cheveux roses, coup�s tr�s courts, et ses longs cils ne sont pas authentiques. Je m'apaise, c'est un visage connu.

Christia Greenlaw est la m�re de Cordo, un ami de la Haute …cole. Il est sans nul doute le plus puissant des enfants du Capitole. Son p�re �tant formateur � la prestigieuse �cole des Game Maker, il a h�rit� d'une influence sociale impressionnante. Cordo r�gne sur l’…cole d'une main de fer, faisant respecter les fronti�res sociales. Par principe il n'accorde g�n�ralement de l'importance qu'aux enfants extr�mement riches o� dont les parents travaille dans la fili�re des Hunger Games. Lorsque Cooper est entr� au service de Seneca, Cordo m'a pris sous son aile � l'�cole. C'est aussi gr�ce � lui que je suis entr� dans l'�lite de l'H.E.C.

- Son p�re t'en veux. Mais il sait aussi que Cordo voudra former une alliance avec toi. Pas qu'il n'ait besoin de tes comp�tences, mais vous �tes amis, et les amis doivent se soutenir dans une situation pareil. Tu es quelqu'un de bien Blaine, et je sais aussi que tu es un fid�le ami. Si tu me promets de ne pas te retourner contre mon fils, je ferai tout mon possible pour vous obtenir des sponsors. Et ainsi son p�re ne ferait pas de toi sa premi�re cible. Vous �tes ensemble dans ce cauchemar, tu n'es pas seul Blaine. Nimmo, Magnus et Gauis feront aussi partis de cette alliance. Il faut que tu leur fasses confiance, ils te prot�geront jusqu'au moment o�...

Elle marque une pause.

Jusqu'au moment o� nous devrons renoncer � cette alliance et s’entre-tuer. …videmment.

Je plonge mes yeux dans les siens. Christia a toujours �t� une femme d'une impressionnante gentillesse, face � la froideur et la perfidie de son mari. Je comprends que chaque mot lui co�te une grande �nergie. Elle prend sur elle, mais ce n'est pas dans sa nature de c�der � la violence des Hunger Games, au jeu des strat�gies. Je sais, pour en avoir souvent parl� avec Cordo, que sa m�re a beaucoup de mal � s'imposer dans ce foyer o� r�gne les Jeux. Pour une femme douce et raffin�e vivre avec deux hommes passionn�s des Hunger Games n'est pas si facile. Alors j'essaie de ne pas montrer mon �tonnement en l'�coutant.

Elle semble chercher les bons mots, puis elle reprend

- S'il te pla�t, promets moi qu'� l'instant o� vous ne serez plus que vous six, tu supprimera Auricula.

Auricula Redpath�!

Je m'en souviens maintenant. Son nom est sorti avant celui de Kurt. Cette demande ne pr�sage rien de bon pour moi, Auricula �tant la fianc�e de Cordo.

- Pardon�? Vous me demandez de tuer Auricula, pour que Cordo m'�limine ensuite�?

- C'est exactement ce que je te demande. Comprends que ce n'est pas facile pour moi, de te demander cette faveur. Mais un seul en sortira vivant, et bien entendu je veux que ce soit mon fils. Blaine, tu n'as aucune chance sans lui, il t'aidera jusqu'au moment d�cisif. Tu n'irais jamais aussi loin sans cette alliance, et tu le sais aussi bien que moi.

Chaque parent veut que son fils, ou sa fille soit vainqueur, �videmment. Je peux comprendre sa demande, mais je ne suis pas en mesure de lui accorder cela maintenant.

- Vous savez comment sont les Hunger Games, madame. Cordo peut perdre la vie des les premi�res minutes. Nous n'avons pas les comp�tences qu'avaient les tributs des districts, mais nous avons tous de grandes connaissances sur les Jeux et les coulisses de cette horreur. � votre place je ne sous-estimerais pas autant les autres tributs. Et m�me si je comprends votre demande, je ne peux malheureusement rien vous promettre.

- Tu as l'espoir de rentrer chez toi vivant, n'est ce pas�?

J'acquiesce d'un l�ger mouvement de t�te. Elle me sourit, puis se rel�ve �l�gamment, pour s'�loigner vers une porte voisine.

Oui si je veux remporter ces Jeux, m'allier avec son fils n'est pas la r�ponse � mes probl�mes. Une fois l'alliance dissoute, je serai dans une position bien inconfortable. Cordo est facilement deux fois plus fort que moi, et tuer Auricula signerait d�finitivement mon arr�t de mort. Je vais devoir esp�rer assez fort pour que quelqu'un d'autre se charge d'eux avant que je n'en ai plus le choix. Mais avant tout je vais devoir r�fl�chir aux premi�res strat�gies plus t�t que pr�vu.

Je r�alise difficilement que tous mes amis seront dans l'ar�ne avec moi. J'entends encore Christia, ��Nimmo, Magnus, Gauis feront aussi partis de cette alliance�� Nous cinq sommes l'�lite de l’…cole. Malgr� les diff�rends li�s aux jalousies, et � la hi�rarchie dans notre propre groupe, nous sommes assez proches les uns des autres. Je comprends que, malgr� toute ma volont�, je ne pourrai me r�soudre � tuer certains d'entre eux.

Les gardes demandent aux familles de se retirer apr�s seulement quelques minutes dans les salles priv�es. Il faut absolument que je parle de ce qu'il vient de se passer � mon fr�re. Lui saura quoi me conseiller, et maintenant plus que jamais j'ai besoin de ses conseils.

Je garde intentionnellement ma position recroquevill�e le temps que les familles sortent du couloir. Lorsque le silence s'installe de nouveau je rel�ve la t�te et vois que les vingt-cinq gardes sont de nouveau l�. Le mien me fait signe de me relever, je m’ex�cute et une fois debout, les vingt-quatre portes coulissent en m�me temps et lib�rent les tributs. Nous sommes conduits vers la porte de sortie au bout du couloir.

Il d�bouche sur une grande salle circulaire, tr�s sombre. Seules des petites fen�tres � plus de trois m�tres du sol laissent filtrer un l�ger rayon de lumi�re. Les gardes nous rangent en ligne de cinq tributs, face � l'estrade qui surmonte la pi�ce.

Effie arrive par une porte d�rob�e et se positionne au centre de l'estrade. Elle jette un �il � chacun d'entre nous, avant de s'�claircir la gorge�:

��Maintenant que vous avez tous eu quelques minutes avec vos familles, nous devons vous annoncer un changement de derni�re minute.��

Elle marque une courte pause. Je comprends maintenant que je ne verrai pas mes parents avant les Jeux. Les juges ne cesseront de mettre de nouveaux obstacles sur ma route. Et pourtant je ne sais si cette nouvelle est vraiment mauvaise. De cette fa�on je me battrai dans l'ar�ne pour les revoir. Et puis je n'aurai pas su r�conforter ma m�re, ni supporter le silence de mon p�re. Mais j'esp�re tout de m�me qu'ils me feront passer un message par le biais de Cooper.

Effie reprend�: ��Vous allez maintenant inscrire le nom du membre de votre famille que vous choisissez pour mentor sur les papiers que vous allez recevoir.��

Les gardes font effectivement passer des petits papiers semblables � ceux utilis�s pendant la moisson. Je n'h�site pas une seule seconde avant d'y inscrire le nom de Cooper. Puis les pr�cieux papiers sont ramass�s. Un �ni�me garde s'introduit dans la salle par la m�me porte d�rob�e qu'Effie. Il apporte une grande bulle de verre.

Effie semble emball�e. Je le suis beaucoup moins.

��Nous allons maintenant proc�der au tirage au sort.��